L’accent français

À la une d’un quotidien, « un policier fou tue » signifie-t-il qu’il vient d’abattre quelqu’un ou qu’on en compte un de moins (il tue ou il est tué) ? « ferme » sur une affichette à la porte d’un magasin de matelas veut sans doute dire qu’il est fermé, mais pourrait aussi vouloir dire que la porte est dure, résiste, ou que le tempérament du patron ne fait montre d’aucune mollesse, ou encore que l’on ne s’enfonce pas trop dans les matelas qu’il vend, ou peut-être nous donner l’impression qu’on est à la ferme… D’où l’importance des accents, même sur les majuscules.

En plus d’être une façon particulière de prononcer une langue, un accent consiste, en français, en un signe graphique qui, placé sur une voyelle, en précise le timbre. Si le premier n’est pas obligatoire mais inévitable au sein de notre grande et belle francophonie, le deuxième, lui, l’est et fait partie intégrante de notre non moins grande et belle orthographe. En fait, dans toutes les langues où l’on a recours à ces marques graphiques, celles-ci doivent être parfaitement maîtrisées si l’on ne veut pas commettre de « fautes d’orthographe ». C’est le cas, par exemple, en allemand, en suédois, en basque, en espagnol, où l’on retrouve les lettres ö, å, ú, ñ. Si ces lettres portent des accents particuliers, c’est qu’elles représentent des sons particuliers (qui entraînent souvent des sens différents). Les linguistes ont élargi la notion d’accent en parlant plutôt de « signes diacritiques », qui englobent ainsi la cédille et le tréma en français, et qui s’additionnent non seulement aux voyelles mais aussi aux consonnes. Je ne tiens pas compte, dans le texte qui suit, des propositions de la nouvelle orthographe du français.

Je ne traiterai pas ici des accents marseillais ou du bas du fleuve ni de ceux qui font que l’on prononce avec plus d’intensité une syllabe plutôt qu’une autre comme en anglais, en espagnol ou en italien, mais bien de ceux (en y incluant le tréma) que l’on retrouve en français sur certaines voyelles. Et encore ! Je ne parlerai pas de toutes les règles ou de tous les mots qui prennent un accent ici et là, mais ne mettrai l’accent que sur les cas qui reviennent le plus souvent ou qui nous causent le plus de problèmes.

Le petit chapeau

L’accent circonflexe (le petit chapeau en forme de toit dont il ne faut pas affubler le mot toit) constitue souvent l’indice de la présence lointaine d’un s en latin ou en ancien français. C’est ainsi qu’on ne verra jamais de mots formés d’une voyelle à la fois surmontée d’un chapeau et suivie de la lettre s (comparez hôpital et hospitalier, vêtement et vestimentaire).

Une faute courante consiste à mettre un accent sur le a des mots en atre de la famille des « médecins » (pédiatre, psychiatre, malgré leur prononciation avec un a « d’arrière »). Ces mots proviennent du suffixe grec -iatros, où il n’y a pas d’s après le a, alors que des mots comme douceâtre, blanchâtre se sont adjoint le suffixe latin -astre. La liste comprend des mots tels que âme, âne, âcre, âge, âpre et âtre, auxquels s’ajoutent bâton, pâte, hâte, mât, l’incontournable châssis de même que beaucoup d’autres.

Attention aux mots en itre, que l’on a tendance à coiffer un peu trop facilement : ils ne prennent pas d’accent circonflexe (pupitre, arbitre, chapitre), à l’exception d’épître, huître et bélître (voilà une excellente occasion de consulter son dictionnaire…). Les mots en aître, eître et oître prennent tous l’accent de circonstance, à l’exception du mot goitre. Aussi tous les verbes en aître conservent-ils cet accent devant ce t (il paraît, il connaît), même au futur et au conditionnel présent (il paraîtrait que). La conjugaison du verbe croître reste difficile : accent circonflexe sur u et i partout sauf si ce i se retrouve devant un s double (je croîs, tu croîs, il croît, nous croissons). Mais attention : accroître se conjugue comme connaître (le participe passé n’est donc pas accentué : accru). Et s’il vous plaît, attention à la conjugaison du verbe plaire, qui ne prend d’accent circonflexe qu’à un seul endroit…

Ô Canada

Un autre groupe déroutant, les mots en ôme, présente des alternances avec ou sans accent (pour les dérivés); c’est le cas de diplôme et diplomatique (mais diplômé), arôme et aromate, fantôme et fantomal, symptôme et symptomatique. En revanche, syndrome et fibrome, eux, s’écrivent sans accent de la même façon qu’atome, axiome, hippodrome et quelques autres. Il en va de même pour grâce et gracier ou gracieux, mais câble gardera partout son accent (câbler, câblodistribution).

Les mots en ole forment une classe à part. Ceux qui se prononcent avec un o ouvert, comme dans port, ne requièrent pas d’accent (idole, boussole) alors que ceux qui se prononcent avec un o fermé, comme dans pot, en requièrent un (rôle, contrôle). Mettez dans le même groupe cône (dont les dérivés perdent l’accent : conique) mais non zone ni aucun de ses dérivés. J’avoue que la confusion, au bout d’un certain temps et de certaines listes de mots, risque de s’installer… Il faut donc apprendre presque par cœur l’orthographe de certains mots : ô, allô !, il clôt, jeûner, déjeuner, dîner, côlon, côte et cote, entrepôt, impôt, pylône, trône, une lourde tâche et une vilaine tache, mâture et mature, pâle et pale, bât et bat; le pêcheur va à la pêche avec ses appâts, la femme, disait-on anciennement, y allait avec ses appas.

Comme je le soulignais plus haut, l’accent circonflexe sur le e disparaît devant un s (comparez vêtir et veste, arrêt et arrestation, évêque et Lévesque), mais retenez les mots suivants : poêle, crêpe (à la fois pour la galette, au féminin, et pour l’étoffe, au masculin), crête (à la fois sur la tête du coq et au faîte de la montagne) mais Crète (l’île). Avouez qu’ils nous guettent partout (et qu’ils sont complètement fous), ces accents ! Il reste, tout de même, une configuration relativement facile à retenir : l’accent circonflexe sur le e s’y maintient toujours, sans alternance comme c’est le cas pour é et è (j’y reviendrai plus loin). Ce ê fait toujours partie du radical du mot : arrêt et arrêter, mêler et pêle-mêle, quêter et quêteux, bête et bêtise, rêve et rêver, blêmir et blêmissons…

Restons à l’affût

Les balises pouvant nous aider à structurer nos connaissances pour l’utilisation de l’accent circonflexe sur le u sont plus rares, voire mouvantes. Rappelons tout d’abord les cas où il sert à lever une ambiguïté. Nous reconnaissons les sens différents de cru et crû, du et dû, mur et mûr ainsi que de sur et sûr.

Ensuite, la répartition des adverbes de manière en ument et ûment n’est pas évidente à première vue. Signalons absolument, ambigument, éperdument, ingénument, prétendument et résolument d’une part, et assidûment, congrûment, continûment, crûment, dûment, indûment et goulûment d’autre part.

Enfin, il reste une liste de mots disparates qu’il faut presque apprendre par cœur : bagout, choucroute, déjeuner, égout, futé, à jeun d’un côté (sans accent) et août, brûler, bûche, coût, croûte, dégoût, embûche, flûte, fût, goût, jeûne, piqûre, soûl, sûrement, voûte de l’autre (avec accent).

Un accent grave

C’est avec un accent dans la voix, voire dans le style, que je descendrai avec vous dans le grave. Tout d’abord sur la lettre a de même que sur la lettre u.

Rappelons quatre cas d’homonymie. Trois d’entre eux restent très connus, mais une faute d’inattention est si vite arrivée… : Elle a parlé à Daniel, Mets-la là, Où allez-vous ou d’où revenez-vous ? Le quatrième cas est plutôt archaïque sauf peut-être dans Il a jeté ça çà et là. Çà, employé isolément, est rare. Comme interjection, il marque un encouragement (Çà ! partons !), une menace ou une impatience (Çà ! allez-vous vous taire !); comme adverbe de lieu, il signifie tout simplement « ici », et on a l’habitude de le ressortir uniquement pour les grandes occasions, entre autres à Noël (Çà, bergers, assemblons-nous).

C’est plutôt l’autre ça (pronom démonstratif) qui figure dans les expressions Ça, par exemple !, Ah, ça !, Ça, alors !, Ça va ? ou… Un chausson aux pommes avec ça ?, sans accent.

N’oubliez ni l’accent ni le trait d’union dans jusque-là et halte-là. Les autres mots avec à qui reviennent le plus souvent sont voilà, déjà, au-delà, en deçà et holà.

Le grave et l’aigu

Les mots portant un accent aigu sur la lettre e sont légion, mais cet accent se laisse facilement maîtriser parce qu’on entend clairement le son é comme dans Quel bel été ! Mais la phonétique et la morphologie du français nous sèment des traquenards et nous attendent au détour quand ce é a tendance à se prononcer è. Étudions deux ensembles de cas.

Si la lettre e ne termine pas une syllabe graphique, il n’y a pas d’accent, ni aigu ni grave. C’est le cas de bel/le, ef/féminé, ef/flanqué, guet/te, ter/re (avec des consonnes doubles identiques) ainsi que d’ex/cep/tion, per/le, es/poir, El/sa (avec deux consonnes différentes). Dans circonflexe ou exemple, la lettre x se prononce comme deux sons distincts qui se suivent : k + s ou g + z, ce qui revient au même. Rappelons-nous donc ceci : il ne peut jamais exister d’e accentué devant des consonnes doubles dont la première appartient à la syllabe précédente. Le cas du verbe enorgueillir est particulier… de même que sa prononciation.

Si la lettre e termine la syllabe graphique, il peut ne pas y avoir d’accent (vendre/di), y avoir un accent aigu (é/té), un accent grave (achè/te) ou un accent circonflexe (bê/tise). Le premier cas ne présente pas de difficulté dans la mesure où la prononciation nous guide habituellement correctement : c’est ce e que l’on prononce encore dans quelques-unes de nos vieilles chansons (pour la vi-e, avec quatre syllabes en tout) ou sur lequel on insistera pour souligner que notre ami-e est une fille. Non plus que le quatrième, dans la mesure cette fois où l’accent circonflexe, s’il figure dans le radical d’un mot, se maintiendra toujours (alignez bête, bêtise, abêtir, abêtissait, etc.).

Là où les choses se compliquent, c’est lorsque, au hasard par exemple des conjugaisons, le e ou le é se transforment en è. Comparez les deux groupes de verbes suivants (avec e et avec é), dont la voyelle du radical devient è dans la deuxième colonne (présent de l’indicatif, troisième personne du singulier) :

semer
geler
acheter
mener

sème
gèle
achète
mène

sèmera
gèlera
achètera
mènera

protéger
gérer
révéler
téter

protège
gère
révèle
tète

protégera
gérera
révélera
tétera

Le è de la deuxième colonne est soutenu par sa prononciation. Le problème s’accentue dans la troisième colonne (futur de même que conditionnel), où l’orthographe actuelle du français nous recommande è pour le premier groupe mais é pour le deuxième groupe même s’il est plutôt prononcé è; et c’est précisément ici que le bât (chapeau bas !) blesse.

Cas difficiles

Les explications étant trop longues à donner ou trop compliquées à retenir, il vaut mieux apprendre par cœur encore l’orthographe (actuelle) des mots suivants : diesel, ego, genèse, placebo, se rebeller, repartie, revolver, senior, télescope, venimeux, registre, refléter, réviser, féerique, événement, allégement. La famille de régler est plus que désunie, voire dysfonctionnelle. Comparez règle à régler, réglage, réglable, régleur, dérégler, indéréglable. Mais à côté de règlement et dérèglement figurent réglementaire, réglementer, réglementation ainsi que déréglementer et déréglementation.

Attention à dessaler, desséché, desserrer, desservir : avec consonnes doubles, donc sans accent.

Noms propres

J’aimerais attirer votre attention sur deux groupes de mots. Tout d’abord, qu’ont en commun les mots suivants : Québec, Wagner, Élisabeth, Israël, Raël, Liège, Sahel ? Ce sont des noms propres qui, pour former des dérivés, changent le timbre de leur dernière voyelle et le marquent par un accent aigu à l’écrit. Ainsi écrirons-nous le Parti québécois, un opéra wagnérien, le théâtre élisabéthain, les Israéliens, les raéliens, un café liégeois, le climat sahélien, toujours avec un accent aigu. Vous en ferez autant avec tous les autres dérivés que vous voudrez former (et qui ne figurent souvent pas dans le dictionnaire) à partir de noms propres qui présentent la même structure phonétique.

Le modèle est connu et éprouvé. Tout comme on obtient éthéré à partir d’éther, on obtient cégépien à partir de cégep. Un seul accroc à la règle : ce sont les Genevois et les Genevoises, qui habitent Genève… et je ne vois toujours pas pourquoi.

Par ailleurs, il importe de se rappeler que, dans le domaine de la toponymie, plusieurs noms de villes ou de pays n’ont pas de traduction officielle française : ils doivent donc demeurer dans leur langue d’origine, sans les accents ou traits d’union du français, mais souvent avec les particularités de la langue d’origine. Retenez, par exemple, Venezuela, Taiwan, Groenland, New York, Detroit, Regina, Viêt-nam ainsi que leurs dérivés, qui, eux, pour la plupart respectent les règles du français : vénézuélien, new-yorkais, vietnamien.

Le tréma

En français, le tréma se place sur les voyelles e, i et u pour souligner un hiatus (parfois plus ou moins net) dans la prononciation, c’est-à-dire pour montrer que ces voyelles se détachent de la voyelle antérieure. On reconnaît les mots Noël, aïeul et aïeux, faïence, Israël, Caïn, ouïe et ouï-dire, etc. Retenons que les mots suivants ne prennent pas de tréma : moelle, pléiade, kyrielle, coefficient, acuité, coincer (mais coïncidence), ni non plus les mots en éité (simultanéité, velléité). Ambigu, aigu, contigu et exigu constituent un quatuor bien connu du fait que leur féminin (singulier et pluriel) ainsi que le nom qui en est dérivé prennent un tréma : ambiguë, aiguës, exiguïté… Ici, il s’agit d’opposer une prononciation en gue, en gua, en gui à une autre en gu, comme dans les mots gigue et ciguë. J’expose ici les règles « traditionnelles » et non celles recommandées — avec raison, il va sans dire — par les tenants de la réforme de l’orthographe ou par l’Académie française en 1975.

Deux verbes restent difficiles à orthographier correctement en ce qui a trait au tréma : haïr et arguer. Haïr prend un tréma sur le i sauf aux trois personnes du singulier du présent de l’indicatif pour la simple raison que, normalement, l’on doit prononcer une seule syllabe comme dans le mot haie. Le fait de prononcer souvent au Québec deux syllabes (J’ha-ïs assez ça, ça) nous pousse malheureusement à avoir recours au tréma. Remarquez que, au passé simple (nous haïmes, vous haïtes) et au subjonctif imparfait (qu’il haït), le tréma a été plus fort que l’accent circonflexe. Arguer (prononcé en trois syllabes) prendra un tréma sur le e quand celui-ci n’est pas suivi du r (j’arguë, ils arguënt) et sur le i (nous arguïons) mais jamais sur le a (argua-t-il, j’arguais, pourtant prononcés en trois syllabes).

Enfin, vous savez que c’est faire montre d’une attention particulière, et justifiée, que d’orthographier correctement les noms des gens, tout singuliers qu’ils soient parfois (les noms, pas les gens !). Ainsi rencontrera-t-on des Gaétan et des Gaëtan, des Danièle et des Danielle, des Michèle et des Michelle.

Les cas d’accentuation s’avèrent nombreux et variés. Plusieurs n’ont même pas fait l’objet d’une mention ici. En cas de doute, n’hésitez pas à consulter votre dictionnaire.