Le subjonctif est toujours bien portant

Le subjonctif se porte bien : les locuteurs du français l’emploient spontanément et correctement dans plusieurs situations et en connaissent relativement bien les formes. Il reste cependant des « zones grises ».

Après certains verbes et certaines conjonctions, l’emploi du subjonctif est stable, relativement bien connu de tous. C’est le cas, par exemple, de phrases telles que Il faut que vous terminiez ce travail avant qu’elle ne revienne, où personne n’hésitera sur le mode à utiliser. En revanche, là où le subjonctif n’est pas obligatoire mais seulement recommandé, là où il apporte une nuance de sens particulière, beaucoup de locuteurs hésitent et optent finalement pour l’indicatif, négligeant du coup de préciser leur pensée. Comparez Offrez-lui quelque chose qui lui sera/soit utile : avec l’indicatif, l’on sous-entend « quelque chose qui lui sera vraiment utile », mais, avec le subjonctif, « quelque chose qui lui sera si possible utile »; nuance peut-être subtile mais nuance tout de même.

Amputasse

Ce mot qui vous écorche autant les yeux que les oreilles n’est rien d’autre qu’un verbe (à l’imparfait du subjonctif) emprunté à une tirade célèbre de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez, il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse. »

Les formes du subjonctif présent demeurent en général relativement bien connues parce qu’elles sont souvent utilisées. Il subsiste des problèmes pour certains verbes irréguliers (aller, savoir…), qui se réduisent parfois à des questions de graphie (que j’aie, qu’il ait, il acquiert, qu’il acquière…). L’indicatif se montre riche en temps passés et futurs; le subjonctif, beaucoup plus pauvre, ne présente même pas de futur.

Les formes de l’imparfait et du plus-que-parfait sont beaucoup moins connues, si ce n’est tout à fait inconnues, voire risibles. Elles sont réservées au style soutenu et, dans la langue courante, il est possible de les éviter soit en utilisant le présent là où les règles de la concordance des temps requerraient un temps passé (Je ne m’attendais pas à ce qu’il s’abstienne plutôt que le bel et rare s’abstînt), soit en ayant recours à une préposition ou une locution conjonctive qui entraîne plus simplement l’indicatif tout en conservant un sens analogue (Tu obtenais du romain bien que tu eusses demandé de l’italique a intérêt à devenir quelque chose comme Tu obtenais du romain même si tu avais demandé de l’italique).

Indépendantes…

Passons brièvement en revue les principaux emplois du subjonctif. En premier lieu, dans une phrase indépendante, il exprime un souhait (Qu’il aille au diable !), prend une valeur impérative (Qu’il le fasse sans rouspéter !) ou d’autres selon les cas (indignation : Elle, qu’elle soit mère !; supposition : Soit un immeuble de 10 étages; etc.).

… ou subordonnées

En deuxième lieu, dans une proposition subordonnée, le subjonctif est commandé par le verbe de la principale qui exprime une volonté, un sentiment ou un doute (Nous voulons/souhaitons/doutons que vous réussissiez). Les constructions impersonnelles appellent fréquemment le subjonctif : Il faut/serait utile que vous téléphoniez.

Un même verbe dans la principale peut souvent laisser le choix au locuteur du mode de la subordonnée selon la nuance de sens dont il entend colorer son message. L’on se rappelle en effet que l’indicatif est le mode du « réel » alors que le subjonctif est celui du « possible ». Le même verbe auquel on ajoute une particule négative ou interrogative devrait être construit différemment. Comparez ainsi (remarquez le glissement du « réel » au « possible ») Vous croyez qu’elle est folle ! d’une part et Vous ne croyez pas qu’elle soit folle ! ou Croyez-vous qu’elle soit folle ? d’autre part. Même le verbe d’une proposition relative se retrouve soumis à cette tendance. L’on dira plutôt Le gouvernement cherche une solution qui satisfasse tout le monde (est-ce possible ?) ou satisferait ou satisfera plutôt que satisfait (parce que cela reste encore à venir…). L’on se souviendra aussi que le subjonctif reste préférable après le seul, le premier, l’unique… : Vous êtes la seule qui soyez capable de me comprendre.

À chacun son mode

Tel groupe de conjonctions ou de locutions conjonctives entraîne l’indicatif, tel autre groupe, le subjonctif; l’on n’a parfois guère le choix. Rappelons une erreur fréquente : à la suite d’avant que, nous employons comme il se doit le subjonctif alors qu’à la suite d’après que nous devrions avoir recours à l’indicatif (Les candidats ont été élus avant qu’ils n’aient eu l’occasion de prononcer leur discours et Les candidats ont été élus après qu’ils eurent prononcé leur discours). Si l’on hésite, il faut consulter un ouvrage de référence pour connaître le mode exact à utiliser.

De la même manière, tel verbe ou telle locution verbale requiert l’indicatif, tel autre, le subjonctif, et la raison ne saute pas toujours aux yeux. Par exemple, s’assurer que demande normalement l’indicatif (Assurez-vous que tout est là) vu la prédominance de la « réalité » du fait. Après le fait que (dans le sens de « parce que »), comme le rappelle Marie-Éva de Villers, le verbe « se met à l’indicatif ou au subjonctif, selon le degré de réalité de la proposition : Le fait que la population est divisée, le fait qu’il vienne ne change rien à la situation. »

N’hésitons pas à nous renseigner

En cas de doute, sachons qu’il existe d’excellents ouvrages de référence. La plupart des bons dictionnaires de langue (Petit Robert 1 et Lexis chez Larousse par exemple) fournissent des indications précieuses quant au mode à utiliser, qu’il dépende du verbe de la principale ou de la conjonction. Les rédactrices et rédacteurs acharnés trouveront dans le Dictionnaire des verbes français de Larousse ou le Dictionnaire grammatical des verbes de Thérèse Bélanger (Éditions Mata, Montréal) la liste de tous les verbes avec toutes les constructions possibles, exemples à l’appui. Par ailleurs, chaque cas difficile fait l’objet d’une entrée particulière dans le Multidictionnaire de la langue française de Marie-Éva de Villers (Québec Amérique).

On trouve de nombreux renseignements concernant bien sûr les formes de tous les verbes mais aussi les emplois des modes dans le Bescherelle et dans d’autres ouvrages français, mais je vous recommande chaudement nos ouvrages québécois, par exemple Tous les verbes conjugués (d’Hubert Séguin au Centre éducatif et culturel) et Les verbes en un clin d’œil (de Jean-Marie Laurence et Jocelyne Henri chez Guérin).